Tel est le titre arabe de ce roman paru en feuilleton au Caire en 1959 dans le quotidien Al-Ahram et en volume à Beyrouth, en 1967 seulement, et pas en Égypte — pour des raisons que l'on verra plus bas.
• Pourquoi "notre quartier" ?
Enfant du Vieux Caire, Naguib Mahfouz s'est engagé après 1945 dans le roman social avec la matière de ces quartiers qu'il connaissait bien, comme cadre de son enfance. Même si nous avons ici globalement un roman allégorique, à l'intérieur des chapitres il reste de vastes pans de réalisme social appliqués au Vieux Caire. L'auteur impose l'unité de lieu: on ne quittera pas la ville; on arpentera le quartier de la Gamaliyya.
Réitérée, cette formule, "Notre quartier", est la seule intervention du narrateur dans le récit conduit de manière impersonnelle. «Au commencement, là où se trouve actuellement notre quartier, il n'y avait que le désert du Muqattam qui s'étendait à perte de vue. Au milieu du désert se dressait la Grande Maison construite par Gabalawi…»
Le Fondateur du quartier a fini par confier la gestion du domaine de main-morte (le waqf) à un Intendant autoritaire et rapace qui se réserve l'essentiel des revenus au lieu de les partager. Celui-ci est aidé de "ces futuwwas déchaînés qui nous oppriment aujourd'hui". Ces chefs de bande contrôlent chacun un secteur et y font régner la loi du plus fort à l'aide de leurs gourdins.
• Qui sont ces habitants?
«Notre quartier était bruyant et surpeuplé; les enfants, pieds nus et à peine vêtus, jouaient dans tous les coins, remplissant l'air de leur vacarme et couvrant le sol de leurs excréments. Les femmes s'agglutinaient sur le seuil des maisons, l'une hachant des feuilles de mouloukhiyya, l'autre pelant des oignons, une troisième allumant un brasero, toutes échangeant potins et plaisanteries, ou, au besoin injures et malédictions. De jour comme de nuit, c'était un fracas ininterrompu, soutenu par le rythme lancinant du tambourin à exorcismes : les chansons, les pleurs, les voitures à bras courant en tous sens, les engueulades, les rixes, le miaulement des chats et le grognement des chiens se disputant les tas d'ordures. Les rats grouillaient dans les cours des maisons et nichaient dans les murs, et il arrivait fréquemment qu'un groupe se rassemble à grands cris pour tuer un serpent venimeux ou un scorpion. Quant aux mouches, leur nombre n'avait d'égal que celui des poux : elles partageaient la vie des habitants avec une familiarité amicale, mangeant dans leurs assiettes, buvant dans leurs verres, jouant autour de leurs yeux et se glissant même parfois dans leur bouche.» (p.138).
Mahfouz peint donc les hommes qui forment la société cairote. Et dans ce microcosme social les pauvres sont les plus nombreux et mènent une vie toujours misérable. En 1977, "La Chanson des Gueux" reprendra plus ou moins la même structure et les mêmes thèmes mais sans les allusions aux religions du Livre.
II. Une allégorie victime de la censure religieuse
• Un roman allégorique
Mahfouz a osé un condensé historique de l'humanité depuis le Jardin d'Eden dont elle est chassée, jusqu'à l'âge de la science moderne. Le roman est divisé en 5 parties– comme le Pentateuque– centrées sur Adham, Gabal, Rifaa, Qasim et Arafa. « Qui examinerait notre quartier avec quelque attention aurait beaucoup de mal à croire à ce que l'on chante dans les cafés, au son du rebab , Gabal, Rifaa, Qasim… ont-ils jamais existé? Que reste-t-il d'eux ? Un quartier plongé dans les ténèbres, et un rebab qui rassesse
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